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9.7.07

Comment te dire adieu ?

RdV#9 •• Analyse •• Par Antoine Couder. Photo Alain Declercq.

C’est encore un petit groupe d’irréductibles qui, pour l’instant, ont préféré rester anonymes, et pour qui la victoire de Nicolas Sarkozy sonne le glas d’un bien beau vivre ensemble. Récit imaginaire d’une longue veillée funèbre.
Ils sont sonnés, depuis le dimanche noir de l’élection présidentielle. Ils hésitent entre revisiter le site d’Arte qui parodie à loisir la rhétorique de Nicolas Sarkozy (mais pour combien de temps encore, s’inquiètent-ils) et se replonger dans la lecture de La Résistible Ascension d’Arturo Ui, une pièce de Bertolt Brecht qui raconte comment un minable gangster prend le pouvoir à Chicago sous prétexte de protéger un mystérieux trust des choux-fleurs. Ils caressent alors le projet de créer un Front de libération du chou-fleur. L’idée leur arrache un sourire. Mais ils n’ont pas le cœur léger tant ils sont occupés à enterrer définitivement cette gauche de gouvernement qui se révèle incapable d’assurer une alternative crédible, et qui emporte avec elle l’idée qu’ils se faisaient du XXe siècle, c’est-à-dire une combinaison réussie de la croissance et de la solidarité qui produirait de la culture. Les voilà donc sidérés devant cet écroulement, cette façon de remplacer Jeanne Moreau par Jean-Marie Bigard, de menacer de supprimer purement et simplement le ministère de la Culture ou de travailler au corps le contrat de travail à durée indéterminée.

Est-ce que tu es sérieux ?
« Mourir ou changer », écrivait Zaki Laïdi, à propos de la nécessité pour le Parti socialiste de se rénover (1). Or, changer, il n’en est pas question. Les voici donc prêts à mourir en leur pauvre cœur, dans le silence, l’aversion (du latin aversio), le simple « regard détourné » ; dans ce soi-disant respect de l’adversaire dont Ségolène Royal avait tenté bien en vain de se faire la messagère. Bien sûr, ils sont en colère, mais sans doute le sont-ils autant contre elle que contre lui. Le gâchis, la terrible vérité des urnes, les peines fermes et définitives qui clôturent la tentative de jouer à Counter-Strike en direct, dans les rues des grandes villes (2). À quoi auront donc servi tous ces rapports officiels soulignant le caractère pathogène de l’incarcération des plus jeunes ? À rien, sinon à charger encore la liste de ce à quoi il faut dire adieu maintenant : au fait de croire à une certaine légèreté et peut-être même à l’existence d’un second degré, à l’idée que l’on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans, au fait que l’on n’est pas majeur pénal à seize ans, ou encore, qu’il existe ce que l’on appelle une Protection judiciaire de la jeunesse.

« De tout mon cœur d’enfant »

La ville se referme et la classe dangereuse est renvoyée au lourd devoir d’héroïsme, à la mort tragique d’un Guy Môquet dont on a extrait la substance communiste pour ob-tenir un concentré de compassion. « Je vais mourir, écrit-il dans une lettre à sa mère… Ce que je te demande, ce que je veux que tu me promettes, c’est d’être courageuse et de surmonter ta peine… Je vous quitte tous, toutes… en vous embrassant de tout mon cœur d’enfant. Courage ! » (3) Une lettre que l’on peut lire dans la station de métro qui porte le nom du jeune homme et qui sera dorénavant lue chaque année aux élèves de l’Éducation nationale, à l’occasion de la rentrée scolaire (4). Commence alors ce drôle de deuil rendu clandestin par la loi inflexible de la majorité. Comment le peuple a-t-il pu à ce point se tromper sinon justement parce qu’on l’a trompé en beauté, usant d’images et de propositions qui troublent ses facultés. Dans chaque déclaration du président leur apparaît alors le signe du mensonge, le venin de la communication, cette « imitation de la réalité » dont parlait Socrate lorsqu’il s’agaçait de la suprématie de la peinture sur la pensée. « Tu as atteint ton but. Assoiffé de revanche, tu as vaincu tes démons intérieurs pour trouver la force de tuer le dieu de la guerre et t’approprier son trône. Mais trop longtemps tu as vécu dans l’ombre des autres dieux : il est temps d’en finir. » (5)

La culture du « hein ? Quoi ? »
Et cela commence par la nomination de Bernard Kouchner au poste de ministre des Affaires étrangères, geste extrême qui vient brouiller les cartes des valeurs et confirmer la liquidation de mai 68. D’un côté, il n’y a qu’une France, il n’y a qu’une sorte d’intérêt… Il n’y a donc plus à hésiter ; comme l’écrit The Economist, « à quoi sert-il de voter à gauche puisque la gauche est déjà au gouvernement » (6) ? Ensemble, tout devient possible. Voilà un slogan qui n’a pas été suffisamment analysé. Ce qui devient possible, c’est donc un brouillage général, comme si nous entrions aujourd’hui dans la culture du « hein ? Quoi ? ». Un brouillage qui s’étend sur la moindre parcelle de réalité. Partout, la règle simple est contestée, la jurisprudence rediscutée. « Je ne vois pas pourquoi », comme dit le président… C’est ainsi que l’état d’exception finit par devenir la règle, en France comme aux États-Unis. « Hein ? Quoi ? ». La vie politique s’installe dans une tension permanente entre la demande de procédure démocratique et un pouvoir exceptionnel qui se développe et se concentre entre les mains de l’exécutif. Et même s’il faut être bien mal informé pour croire qu’un média peut verrouiller l’opinion, il faut sans doute être très malin pour faire passer un « message ». Il faut s’appeler Eva Joly pour se permettre de dire que le problème français en matière de corruption des élites, c’est en grande partie une « allégeance au président de la République » (7), une soumission féodale au chef tout-puissant, seule véritable garantie de protection. D’ailleurs, regardez comme nous pouvons être indulgents avec Jacques Chirac. Regardez comment le nom de Jean Tiberi inscrit sur la liste des élus de la République ne nous fait pas sursauter. Car, évidemment, « tout se tient », comme disait « l’autre » (8) : il n’y aura effectivement aucune amnistie présidentielle pour les infractions au code de la route, mais il sera toujours bien compliqué d’y voir plus clair dans l’affaire Clearstream.

Do not opensource la Résistance
« Hein ? Quoi ? », ce serait vraiment le super gimmick du Front de libération des choux-fleurs si d’aventure, le groupe consentait à s’organiser. En attendant, il faut être très vieux et vivre loin de Paris pour alpaguer le président de la République à l’antenne de France Inter et affirmer qu’on lui refuse le droit d’« opensourcer » l’idée de Résistance, en transformant sa balade sentimentale sur le plateau des Glières en une communion avec l’Histoire (9). Il faut être un vieux résistant grognon, spectre vivant de la mémoire qui s’efface, pour dénier au jeune élu suprême le droit de faire le tri entre le gaullisme et les ordonnances de 1945, les « compagnons de la Libération (plutôt de droite) » et le Conseil national de la Résistance (qui comptait notamment des communistes). Ce pack français, ce socle constitutionnel qui, jusqu’ici, nous tenait ensemble et qui semble aujourd’hui menacé pour cause de « rupture ». De cette rupture, de cette séparation, on voudrait encore pouvoir discuter. Et, pour commencer, répéter ces mots entendus par hasard, au détour d’une Histoire(s) du cinéma : « … Il disait que la fidélité si grande soit-elle est sans effet sur la marche du temps, qu’elle n’est susceptible de rien ressusciter, ni personne, et que néanmoins, il n’est d’autre solution que la fidélité »10. Une bien belle façon de se dire adieu.

(1) In Libération, 8 mai 2007. (2) Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, le bilan des trois jours d’émeutes post-élection est de 80 policiers et gendarmes blessés, 2 000 voitures brûlées et 887 interpellations. (3) Mais il y a mieux encore dans le genre, par exemple : « Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège, ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé comme toi et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé. » Hommage d’André Malraux à Jean Moulin, décembre 1964. (4) C’est la première décision présidentielle de Nicolas Sarkozy afin de faire prendre conscience aux jeunes collégiens français de ce qu’est l’amour de la France, « un amour qui peut et qui a souvent conduit au sacrifice », comme il dit. (5) Puisque la culture est aujourd’hui en voie de dilution dans le monde du divertissement, il est sans doute difficile pour le non-spécialiste de faire la différence entre un texte classique et cette baseline publicitaire du nouveau jeu sur Playstation 2, God of War, « L’origine de la fin ». (6) The Economist, 26 mai 2007, article « The Kouchner Effect ». (7) In La force qui nous manque, par Eva Joly (avec Judith Perrignon), éditions Les Arènes , mai 2007. (8) Ségolène, bien sûr. (9) « Créer, c’est résister, résister, c’est créer », Là-bas si j’y suis , Daniel Mermet, 24 mai 2005, suite à la visite du candidat Sarkozy venu rendre hommage à ceux qui, ici, sont morts pour la patrie. (10) Histoire(s) du cinéma, Jean-Luc Godard, ECM Series, 1998.

Génération Entourage

RdV#9 •• Télévison •• Par Emmanuelle P.

Prison Break et bientôt Heroes se disputent des places de choix sur nos écrans. Au même moment, une foule de séries font leur chemin de manière plus confidentielle, mais tout aussi efficace. Au cœur du phénomène, Entourage brille sous le soleil de LA. Éclairage.
En matière de séries, les années 90 ont fait dans l’urgence médicale avant de plonger dans l’univers gore et sophistiqué du crime moderne, puis dans celui de la « série réalité », celle qui envoie Monsieur Tout-le-monde se débrouiller au milieu de nulle part, de préférence sur une île maudite. Aujourd’hui, Heroes, grosse production qui a bénéficié d’un vaste buzz, jette un pavé dans la mare et éclabousse les Desperate Housewives avec des héros super perdus face à leurs pouvoirs tombés du ciel. À tel point que l’on se demande déjà si les ficelles du scénario ne vont pas finir par s’emmêler… Derrière cette actualité torride, la série américaine Entourage s’est discrètement affirmée en trois saisons, moyennant une diffusion sur TPS Star en France depuis le printemps 2006.

Jeu de dupes
Entourage s’inspire directement de la vie de son producteur, l’acteur Mark Wahlberg. Souvenez-vous, Marky Mark des New Kids On The Block, c’était lui, le personnage de Dirk Diggler dans Boogie Nights aussi. Propulsé très jeune sur le devant de la scène, il prête son vécu à Vincent « Vinnie » Chase (Adrian Grenier), jeune comédien sous les feux de la rampe, entouré de son frère Johnny « Drama » (acteur looser sur le retour, interprété par Kevin Dillon, frère de Matt), Turtle (toujours dans les bons plans) et Eric (apprenti manager). Inséparables depuis leur enfance dans le Queens, ils partagent la même maison, vont de soirées en beach parties, crapahutent de jolies filles en bimbos… Tous épaulent Vinnie dans sa carrière, gérée par un agent archétypal et hilarant de cynisme, Ari Gold, lui aussi inspiré d’un agent hollywoodien bien réel. Entourage ne repose sur aucun suspense particulier. À première vue, cette série paraît aussi vide et superficielle que son sujet. Mais, elle rend doucement accro… D’abord, grâce à l’entourage de Vinnie, les deux « débiles » qui marchent sur ses talons, et Eric « E », qui s’avèrent attachants dans leur quête d’une place au soleil malgré l’ombre que leur fait la star montante. Ombre qui a son avantage, vu qu’il est plus facile d’obtenir le numéro de portable d’une belle du showbiz quand on est le manager de Vincent Chase. Moins ado que Heroes et surtout, beaucoup plus gonzo qu’elle n’en a l’air, Entourage devient de plus en plus sympathique au fil des saisons, soufflant sur l’univers du show-business made in LA un vent critique rafraîchissant qui n’est pas sans rappeler étrangement… Boogie Nights. Trash, fun, sincère, dépourvue de cynisme mal placé, très générationnelle et pas prétentieuse, cette série cumule habilement des points forts. Avec notamment une BO dans l’air du temps, entre Muse, Mos Def et les Kings Of Leon.

Party cannoise
Mais le vrai plus d’Entourage repose sur l’apparition de guest-stars… parfois dans leur propre rôle. Subterfuge désormais courant pour repêcher une série qui bat de l’aile, le featuring de vedettes prend ici toute sa dimension, piquante et décalée : Val Kilmer en gourou cultivateur d’herbe bio, Gary Busey en sculpteur éclairé, Scarlett Johansson, James Cameron… La liste, impressionnante, contribue évidemment à l’effet jouissif de la série. Véritable mise en abyme du show-business et de ses combines, Entourage s’est même incrustée à Cannes pour les 60 ans du festival. Mark Wahlberg jouant dans le film de James Gray en compétition, un épisode entier a ainsi bénéficié d’un tournage sur la Croisette, permettant à la joyeuse bande de pique-assiettes de figurer en bonne place dans les soirées les plus courues du festival. Et à Vincent Chase de propager le buzz chez nous, dans la réalité comme dans la fiction.

L’étoffe d’un classique
La chaîne américaine HBO, productrice de la série, est abonnée aux succès lourds à contre-courant des codes habituels. Entourage semble destinée à bien fonctionner sur le long terme, une qualité qui, a priori, élève une série au rang de mythe et lui permettrait de rejoindre les sommets de Dream On, Six Feet Under ou Sex and the City, les précédentes productions HBO devenues des classiques. Mais, un train peut théoriquement en cacher un autre, car la chaîne remporte aussi un réel succès critique avec The Wire, une série à se procurer qui pourrait faire la différence. Ailleurs, importées de la chaîne Showtime, des séries pas correctes se sont trouvé une niche sur Canal Plus : après la très controversée Weeds, voici que Dexter le serial killer arrive parmi nous. Sauve qui peut, le gore est encore à nos trousses.

Entourage, DVD saisons 1, 2 & 3 disponibles en import. En rayon.

Didier Lestrade, le bonheur est dans l’après

RdV#9 •• Idées •• Par Philippe Noisette. Photos Salvatore Caputo.

Journaliste, militant, fondateur d’Act Up-Paris et cocréateur du magazine Têtu, Didier Lestrade signe avec Cheikh, Journal de campagne, un manifeste contre le « marasme gay ». Interview sur l’air du temps et propos sans complaisance.
Didier Lestrade a raconté la naissance d’Act Up, osé son Journal des années 80 ou alarmé sur l’attitude de certains gays suicidaires par leur comportement sexuel avec The End. Trois livres touffus, brillants souvent, maladroits parfois. Mais Lestrade, quoi qu’on en pense, reste une voix essentielle dans le paysage homo. Cheikh, joliment sous-titré Journal de campagne, raconte son installation en Normandie, sa vie nature. Ou comment s’émerveiller devant une tulipe en fleur. Sans oublier quelques coups de gueule contre ce « marasme gay » actuel qu’il dénonce. On passe du rire au plus sérieux. On s’énerve aussi. Du pur Lestrade, mais assagi. Il est question dans ces pages de Henry David Thoreau, un Américain du XIXe siècle parti vivre dans une cabane au bord d’un lac. Walden, le récit qu’il en tira, a marqué Lestrade. Mais Cheikh est également un livre actuel, en prise directe avec notre monde, et politique. Donc s’adressant aux gays, jeunes et moins jeunes. Et aux autres. En attendant (peut-être un jour) l’ouvrage sur la dance music que Didier Lestrade nous doit.

Philippe Noisette : Christine Boutin au gouvernement, envie de réagir, non ?
Didier Lestrade : Ca ne me dérange pas plus que d’autres choses. Boutin n’est pas à un ministère déterminant et il y aura toujours des députés homophobes comme Vanneste (1). L’important est de savoir où s’arrête leur liberté d’expression et comment s’assurer qu’ils n’agressent pas sans cesse des minorités qui se sentent concernées par leurs propos. C’est une question d’autorité gouvernementale. On verra comment le gouvernement Sarkozy va se comporter. Je crois savoir qu’il n’aura pas de scrupules à virer les personnes qui posent problème.

Philippe : Les agressions homophobes en augmentation : est-ce à dire que l’on se trompe sur la « relative » acceptation des homos en France ?
Didier : Les initiatives contre l’homophobie sont des combats nécessaires. Je ne crois pas que les cas soient en augmentation puisqu’il n’y avait pas de statistiques avant. Je ne crois pas non plus que ce soit l’alpha et l’oméga de la question gay aujourd’hui. Quand je vois des papiers, dans Le Monde et dans Préférences, sur les travaux d’Éric Verdier (2), qui dit que l’homophobie est si importante actuellement qu’elle fragilise les hétéros… c’est n’importe quoi. Un hétéro, même jeune, qu’on traite de tapette, il rigole. Les jeunes hétéros n’ont jamais été aussi cool avec les gays : si vous voulez que je vous rappelle comment c’était il y a vingt ans, je peux le faire. C’était beaucoup plus violent et en plus, les gays étaient invisibles. Le succès même de la Gay Pride en est une preuve et il y a beaucoup de gays qui sortent en boîte avec des hétéros, ce qui ne se faisait jamais avant. En fait, l’obsession de l’homophobie est consensuelle dans un milieu associatif LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) qui se déchire avec rage. C’est le dénominateur commun qui permet de ne pas aborder les questions plus graves : si les gays sont vus sans cesse sous l’angle victimaire, est-ce que cela les dégage de leurs responsabilités en termes de prévention du sida et de santé publique ? Non. Et ça, personne ne le dit. Une minorité ne doit pas seulement exiger, elle doit nourrir la société par sa réflexion et ses efforts, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

Philippe : Vous ne fréquentez plus la Gay Pride ?
Didier : Je n’y vais plus parce que je connais par cœur, mais je suis content que ce soit un succès. Je suis content pour ceux qui y vont.

Philippe : Être gay ou lesbienne en 2007, c’est plus de consommation et moins d’engagement ?
Didier : C’est une consommation forcenée et un engagement absent. Dans la zone publique, on s’offusque des scandales homophobes, mais dans la zone privée, c’est chacun pour soi, et franchement, la grande majorité des gays et des lesbiennes ne sont pas concernés par les problèmes des transsexuels, je vous l’assure. Avant de faire semblant de s’engager pour des gays et des lesbiennes en Irak, il serait judicieux de régler le problème en France. C’est facile de critiquer ce qui se passe ailleurs, plus difficile de poser la question de notre propre racisme homosexuel envers les autres. Et il est bien réel !

Philippe : Vous vivez à la campagne, le fameux « loin de Paris », mais votre regard sur la communauté gay reste juste, et parfois implacable…
Didier : Ce qui est fascinant, c’est que cette communauté perd son humour. J’ai une réputation de grincheux militant, mais ce sont les gays qui ont jeté leur autodérision aux oubliettes. Si on ne peut plus faire de blagues sur les nounours, les mecs cuir, les folles fashion, alors, c’est que le politiquement correct interdit d’émettre le moindre avis sur cette communauté qui ne soit pas le sempiternel : « On souffre ! » Il est facile de remarquer que les seuls gays affirmés qui sont respectés dans le cinéma ou la littérature sont des séronégatifs flippés et ils en jouent pour faire des films qui vont à Cannes. La société adore ce côté plaintif gay. Mon avis définitif, c’est que les gays, en tant que minorité, souffrent beaucoup moins que les autres minorités non visibles de la société, comme les Arabes et les Noirs. Il faut arrêter de se plaindre. Nous disposons d’un tissu associatif, de médias, de moyens non négligeables, de traitements contre le sida, de voyages à l’étranger, d’une écoute politique ; il faut s’en servir pour montrer que les gays peuvent à nouveau être leaders en termes de politique et de création. C’est loin d’être le cas – et le reste de la société le voit. Il est possible de sortir de ce marasme gay.

Philippe :
Dans votre dernier ouvrage, on découvre un Lestrade dont la colère est plus rentrée. Pourtant, la situation sur pas mal de fronts n’est pas si différente. Parce que vous êtes fatigué d’être l’un des seuls qui élève la voix, que vous voulez vous protéger ou que vous faites un constat d’échec ?
Didier : Tout à la fois : l’échec, l’autoprotection, l’envie de dire ce que je pense avec liberté, faire le point, l’espoir naïf que cela puisse servir à certains. Je suis fasciné par le côté aphone de cette minorité, qui n’aborde jamais les problèmes de notre vieillesse, de nos engagements oubliés, de l’impact d’internet sur notre sexualité, de la fuite massive vers la psychanalyse. Nous avons sacrifié de nombreux principes pour le luxe de pouvoir baiser à nouveau sans contrainte. On croit oublier le sida en développant une épidémie morale qui est en train de produire une deuxième vague du sida, uniquement chez les gays des pays riches.

Philippe : Journal de campagne, c’est votre « lettre à un jeune gay » ?
Didier : Oui, dans un sens, je m’adresse aux gays de mon âge pour relever leurs questions, mais je me tourne vers les jeunes car nous avons besoin de « passeurs », d’aînés qui racontent la vie d’avant et qui puissent faire des parallèles avec ce qui se passe aujourd’hui. Ce n’est pas de la nostalgie, ce sont des pistes pour le futur. Et en plus, je suis tombé amoureux d’un mec génial de 25 ans !

Philippe : La place de la musique dans votre vie aujourd’hui ?
Didier : Elle est secondaire, car j’ai vraiment passé quarante-cinq ans à être à fond dedans, depuis tout jeune, et je n’ai plus peur de dire que je suis largué dans certains domaines. C’est reposant.

(1) Christian Vanneste, député UMP condamné pour propos homophobes le 25 janvier dernier.
(2) Psychologue, chargé de mission à la Ligue des droits de l’homme et coauteur avec Jean-Marie Firdion de Homosexualités & suicide, H&O éditions, 2003.

Cheikh, Journal de campagne, éd. Flammarion, 345 pages, 22 euros.

Les figures de style de Clémence Poésy

RdV#9 •• Cinéma •• Par Katia Pecnik. Photos Pierre Even. Réalisation Kanako B. Koga.

Un tel patronyme donne les coudées franches, comme le présage d’un destin extraordinaire. Après le coup de baguette magique avec son rôle dans Harry Potter, l’actrice diaphane croise avec aisance productions colossales et films d’auteur à petit budget. Ici et ailleurs. La classe internationale.
Elle plisse ses yeux pervenche. Sa carnation transparente est celle des ladies à l’heure du five o’clock tea. Le temps d’une séance photo où la température est pour le moins réfrigérante, ses lèvres ont bleui – une particularité bien à elle, précise-t-elle. On la sent physiquement délicate, attaches fines et silhouette frêle des brindilles bon teint. Mais la nymphe de vingt-cinq ans est armée de raison, d’un caractère méthodique, d’une intelligence vive et d’un calme qui lui fait sans ciller relever le gant de défis cinématographiques en série. Des débuts précoces à seize ans dans des téléfilms, un bilinguisme et un réel talent lui ont fait rapidement gagner un statut à part dans le cinéma français – la place de celle qui peut toujours filer à l’anglaise. Son rôle de Fleur Delacour dans Harry Potter et la coupe de feu lui a assuré une célébrité subite et l’a catapultée parmi les jeunes talents qui comptent à l’échelle internationale. Mais, pour qui ne suit pas avec attention les aventures du petit sorcier, Clémence reste difficile à cerner, ou alors seulement sous les traits d’une héroïne de téléfilms historiques à panache. Son image, pourtant, n’est ni bradée par l’exposition au plus grand nombre, ni assombrie par les chiffres de l’audimat. Et la justesse dans ses choix de films d’auteur, ici ou à l’étranger, l’auréole du respect des cinéphiles. Un jour en costume d’époque, un autre en apprentie sorcière, encore un en donnant la réplique à Colin Farrell ou Gaspard Ulliel : la mixité de ces postures apparemment contradictoires n’en fait pas pour autant un personnage paradoxal. Issue d’une famille mi-prof mi-artiste, Clémence contrôle minutieusement sa trajectoire avec, comme seul fil conducteur, son enthousiasme pour des projets intellectuellement stimulants. Une qualité qui, pour elle, peut se retrouver aussi bien dans une fresque historique du service public que dans un film d’auteur. Elle glisse aisément d’un rôle à l’autre sans être marquée au fer rouge. Le secret de Clémence Poésy (le nom de jeune fille de sa mère) réside certainement dans sa personnalité, aussi discrète et plastique qu’insaisissable et magnétique. Itinéraire d’une jeune fille bien élevée au talent poli et qui sonne juste comme une rime.

Éclectique, c’est chic

Katia Pecnik : De Harry Potter au téléfilm Les Amants du Flore, votre parcours est d’une incroyable diversité. Vous revendiquez l’éclectisme avant tout ?
Clémence Poésy : Oui, totalement. Actuellement, je suis en tournage avec Gaspard Ulliel et Éric Ruf pour La Troisième Partie du monde, le premier long métrage d’Éric Forestier. C’est un film d’auteur, un ovni racontant des histoires de disparitions amoureuses. Et je joue aussi dans deux films qui sortiront en octobre, Sans moi, d’Olivier Panchot, d’après le livre de Marie Desplechin, et Le Gang des postiches, d’Ariel Zeitoun, dont le titre est encore provisoire (ce devrait être Les Buttes-Chaumont, ndlr). Parallèlement à ça, on pourra me voir aussi dans une adaptation pour la télévision de Guerre et Paix.

Katia : Des choix délibérés…
Clémence : J’ai l’impression de faire un métier dont l’essence même est l’adaptabilité. Vous savez, passer d’un film d’auteur à un autre implique de toutes façons d’apprendre à fonctionner avec des metteurs en scène et des équipes différentes. J’ai trouvé magique d’avoir pu alterner des films français et étrangers dans des productions plus ou moins grosses. Par exemple, j’ai joué dans In Bruges, de Martin McDonagh, un film anglais avec une toute petite production, même s’il y a des grosses stars comme Colin Farrell. Ensuite, je me retrouve dans Guerre et Paix, une énorme machine internationale avec des Allemands, des Russes et des Polonais. Passer d’un film en France produit par Europa à un petit film comme l’adaptation de Sans moi, c’est le plaisir d’alterner d’un monde à un autre. C’est exactement cela qui me plaît : changer d’univers. Quand j’ai fait le grand écart entre Harry Potter et Les Amants du Flore, c’était rigolo de prendre le bus Porte de Pantin après huit mois de limousine !

Katia : Depuis le début de votre carrière, vous avez joué dans de nombreux téléfilms. Qu’ils soient considérés comme un genre moins noble que le cinéma ne vous gêne pas ? Clémence : J’ai grandi sans télévision et je n’en ai toujours pas. Mais je pense que ça peut être un média génial quand il s’agit de mettre en images Guerre et Paix. Cette épopée sera vue par le plus grand nombre parce qu’elle est diffusée sur plusieurs soirs. J’essaie toujours de considérer la valeur du projet sans a priori. Et je n’aurais jamais eu l’occasion d’interpréter Natacha de Guerre et Paix au cinéma, car ils ne l’adapteront jamais.

Katia : Abordez-vous vos rôles pour la télévision avec le même état d’esprit qu’au cinéma ?
Clémence : Oui, bien sûr. Et d’ailleurs, la première fois que j’ai eu l’impression de faire mon métier, d’avoir un rôle sur les épaules et de me sentir comédienne, c’était dans un téléfilm pour la BBC où j’incarnais Marie Stuart. C’est l’une des choses que j’ai faites dont je suis la plus fière, et je suis heureuse qu’une aussi large audience ait pu en profiter.

Katia : Encore un film historique…
Clémence : Oui, on va croire que je suis abonnée aux héroïnes romantiques !

Katia : Qu’est-ce qui vous motive dans de tels projets ?
Clémence : On choisit d’abord parmi ce qu’on nous propose. Je commence tout juste à pouvoir dire non, et j’ai beaucoup de mal à le faire. Au début, on travaille plutôt en fonction de ce qu’on réussit à passer comme casting… J’ai beaucoup d’indulgence pour les acteurs, car on fait aussi sa carrière avec ce qui arrive. Même si j’ai des exigences, évidemment. Je peux tenir à certaines choses, dire oui à un court métrage parce qu’il me paraît important. Et alors, c’est au détriment d’une proposition de film.

Katia : Et si vous aviez une liberté absolue de choix ?
Clémence : Le luxe, c’est d’aller au plus près du cinéma qu’on aime. En l’occurrence, j’ai l’impression d’être assez ouverte et éclectique dans ce que je vais voir en salles, ça va de Hou Hsiao-hsien à La Fille sur le pont, de Tavernier à Assayas… Et de temps à autre, ça ne fait pas de mal de voir certains gros films américains. Je ne dédaigne pas une belle comédie anglaise romantique comme Love Actually. J’accepte mes envies de légèreté. Et ça se traduit dans le choix de mes films.

Katia : Qu’est-ce qui compte le plus pour vous ?
Clémence : Continuer à travailler en plusieurs langues. Je garde le rêve des années 60-70 où le cinéma n’était pas aussi cloisonné qu’aujourd’hui. C’est riche de pouvoir bénéficier d’autres cultures. On ne travaille pas de la même manière d’un pays à l’autre. Et à chaque fois, cela m’oblige à chercher une nouvelle façon d’être pertinente. Et puis, je souhaite continuer à voyager. Alors qu’à la base, j’étais assez casanière. J’y ai pris goût. Et justement, c’est un défi qui me motive. J’ai l’impression de faire un métier dont l’essence même est l’adaptabilité. Vous savez, passer d’un film d’auteur à un autre implique de toutes façons d’apprendre à fonctionner avec des metteurs en scène et des équipes différentes. J’ai trouvé magique d’avoir pu alterner des films français et étrangers dans des productions plus ou moins grosses. Par exemple, j’ai joué dans In Bruges, de Martin McDonagh, un film anglais avec une toute petite production, même s’il y a des grosses stars comme Colin Farrell. Ensuite, je me retrouve dans Guerre et Paix, une énorme machine internationale avec des Allemands, des Russes et des Polonais. Passer d’un film en France produit par Europa à un petit film comme l’adaptation de Sans moi, c’est le plaisir d’alterner d’un monde à un autre. C’est exactement cela qui me plaît : changer d’univers. Quand j’ai fait le grand écart entre Harry Potter et Les Amants du Flore, c’était rigolo de prendre le bus Porte de Pantin après huit mois de limousine !

Bonne éducation
Katia : Vous avez pris très jeune la décision de devenir comédienne… Clémence : J’ai envoyé une lettre à un agent et ça a marché. Je ne sais même pas si j’en avais parlé à ma mère, qui est prof, et à mon père, qui était directeur d’une compagnie de théâtre…

Katia : Mais, vu le métier de votre père, ce ne fut pas une surprise…
Clémence : Si, vraiment, car je voulais faire du dessin. Je n’avais jamais exprimé le désir d’être comédienne. C’est une décision que j’ai prise toute seule, et je ne leur ai pas demandé leur avis là-dessus. Je ne leur ai jamais fait lire un scénario. Avec ma sœur, on avait insisté lorsque nous étions enfants pour faire partie des spectacles de mon père. Mais c’était pour être dans son monde, et il ne nous avait accordé que trois répliques. Moi, j’étais dans mon truc de dessin, et à un moment donné, j’ai eu envie d’essayer de jouer. Finalement, je me suis lancée dans ce que j’avais fait depuis des années dans ma chambre avec ma sœur…

Katia : Comment ont réagi vos parents ?
Clémence : Bien, car de toutes façons, ça ne remettait rien en cause au niveau de ma scolarité ; ils m’ont fait confiance. Et mon père n’avait rien à dire… étant donné ses activités au théâtre ! C’est un métier qui faisait très peur à ma mère parce que c’est compliqué, c’est une voie moyennement sûre. Mais quelle carrière l’est aujourd’hui ?

Katia : L’activité de votre père vous a-t-elle influencée ?
Clémence : Son travail a toujours fait partie de ma vie. Quand il jouait, on allait le voir. J’ai des photos de ma sœur et moi aux répétitions. Mais j’ai une mère prof qui insistait beaucoup pour que la vie s’organise selon des horaires réguliers. Donc, je n’ai pas non plus passé ma vie en tournée avec mon père. Avec l’âge, je m’aperçois que c’est une vraie chance d’avoir pu partager avec eux nos doutes et nos réflexions sur ce métier. Ma sœur est aussi comédienne. On est toujours très honnêtes les uns avec les autres par rapport au travail. On partage tellement de choses !

Katia : Comme ?
Clémence : L’amour des livres, celui des mots, des spectacles et de la musique. On va régulièrement au théâtre tous ensemble. Ma sœur, qui a deux ans de moins que moi, fait aussi du cinéma, mais elle est plus branchée danse et spectacle vivant. On a eu un peu la même trajectoire et on a grandi avec les mêmes envies. J’espère lui apporter autant qu’elle m’apporte. Ma mère nous a lu des histoires très tard, juste pour le plaisir de partager un récit. Certains livres pour enfants sont d’une telle beauté… Mes parents ont tout fait pour nous faire participer à leur vie culturelle, et ils nous ont donné une éducation d’un genre bien spécifique.

Katia : Vous parlez de l’école ?
Clémence : Oui. Sur un choix de mes parents, j’ai effectué ma scolarité dans plusieurs écoles un peu spéciales, des institutions nouvelles. J’ai notamment été scolarisée à La Source, un établissement européen où l’on apprend très tôt l’anglais, d’où le fait que je sois bilingue. Et j’ai passé un an à l’École alsacienne qui, tout en étant plus classique, a tout de même une philosophie de l’éducation construite et pensée autrement. C’est un établissement dont l’histoire et l’identité sont très fortes, comme certaines écoles anglo-saxonnes.

Katia : En quoi cela a-t-il eu un impact sur votre vie d’adulte ?
Clémence : Ca a forcément influencé mes choix ultérieurs. Ce sont des écoles où l’on apprend à être autonome et où l’on a un grand respect dans le rapport à l’enfant. J’ai toujours vécu en considérant le monde adulte comme faisant partie du mien. Les différences entre les générations ne sont pas accentuées par des rapports hiérarchiques trop forts. Ce sont simplement des relations entre personnes.

Katia : Selon vous, quelles qualités cela vous a-t-il apportées ?
Clémence : J’ai gagné en autonomie et en confiance par rapport aux adultes, c’est aussi de cette manière que mes parents m’ont élevée. Ils ont un grand respect de l’enfant et de sa personne dans ce qu’il a de précieux. Beaucoup de proches de mes parents avaient la même démarche. C’est pourquoi je considère certains de leurs copains comme les miens. J’ai des amis intimes de tous les âges.

Katia : Sérénité, autonomie, vie professionnelle précoce… et la fameuse crise de l’adolescence dans tout ça ?
Clémence : J’ai eu une période très grunge, mais ce n’est pas allé beaucoup plus loin que faire des trous dans mes vêtements… C’était une période très riche, artistiquement parlant. Avec des copains, on voulait inventer de nouveaux mouvements créatifs. Et puis, je n’ai pas travaillé intensément tout de suite. J’ai eu plein de moments d’ado, je ne travaillais que pendant les vacances. On m’a fait confiance. Donc, j’avais envie de conserver cette part d’autonomie, je n’ai jamais ressenti le besoin de faire n’importe quoi…

Katia : Vous avez poursuivi vos études ?
Clémence : Après le bac, j’ai été à la fac de Nanterre. J’adorais ça. J’ai même été un peu triste à un moment parce que j’avais commencé à travailler assez tôt, et c’est devenu incompatible avec le fait de suivre des études plus poussées. Si ça n’avait tenu qu’à moi, je les aurais poursuivies. Mais il se trouve que ça a marché. J’avais l’impression de faire des progrès, de découvrir un autre monde. Tout s’est fait progressivement et ça reste aujourd’hui encore un jeu. C’est ça qui est très joli.

Katia : Vous avez eu envie d’étudier le cinéma, le théâtre ?
Clémence : Je venais d’être admise au Conservatoire… On m’a proposé Harry Potter au même moment. Il y avait huit mois de travail sur le film et ce n’était pas possible de tout faire. Mais j’aurais adoré, car c’est un luxe incroyable et c’est la possibilité de continuer à apprendre, à chercher, à se perfectionner. Je pense qu’au théâtre, tu apprends d’autres choses. Selon moi, le cinéma est un métier empirique qui peut s’apprendre en le faisant. Alors que le théâtre nécessite une technique, un savoir-faire. J’ai très envie de faire du théâtre.

Comme il lui plaira

Katia : Quel théâtre aimez-vous ?
Clémence : J’ai grandi en allant à l’Odéon, en voyant les mises en scène de Patrice Chéreau, celles d’Ariane Mnouchkine à la Cartoucherie, à travers des spectacles de clowns, de masques, de nouveau cirque et de danse. C’est ce que j’ai adoré dans ma préparation au Conservatoire : le fait de m’attaquer à des textes, la beauté des classiques, de Shakespeare à Tchekhov, ou l’écriture de Marius von Mayenburg pour les contemporains. J’ai aussi envie de dire ces mots-là. Et j’aimerais bien jouer Juliette, mais alors, il faudrait que je me dépêche ! Aujourd’hui, j’aime découvrir des choses comme le dernier spectacle de James Thiérée, ou ceux d’un chorégraphe belge que ma sœur m’a fait découvrir, Sidi Larbi Cherkaoui ; il a écrit un très beau texte sur la création. J’adore aussi la compagnie de François Cervantès avec l’actrice Catherine Germain ; c’est du clown et du masque et c’est d’une grande beauté.

Katia : On vous découvre assez classique, mais on vous sait liée aux créateurs de Kitsuné.
Clémence : Ah oui ! Je connais Masaya de Kitsuné par l’intermédiaire d’un copain. Un jour, ils cherchaient une fille pour les photos de leur campagne de pub, et comme on était amis, c’est moi qui l’ai fait. Je suis assez branchée mode, ça me met des étoiles dans les yeux. C’est léger mais très riche. Avoir rencontré Nicolas Ghesquière et entretenir des relations privilégiées avec certaines maisons font partie des luxes de ce métier.

Katia : En dehors du jeu d’actrice, vous sentez-vous une âme d’artiste ?
Clémence : Je fais de tout petits dessins et ce sont des bouts de texte… avec des bouts de dessin ! Je suis en train d’essayer de faire un petit livre. Je suis très fan de certains livres pour enfants ; lorsqu’ils sont bien faits, on peut les assimiler à des œuvres d’art. J’ai toujours plus ou moins écrit. Et ça me plairait de réaliser des documentaires

Katia : Quels sont vos rêves pour la suite ?
Clémence : J’aimerais travailler avec Woody Allen, Olivier Assayas, Tim Burton ou Bertrand Tavernier… J’aimerais beaucoup tourner avec Jean Rochefort aussi, et avec Jeanne Moreau. J’aimerais jouer une rock star, car je sais que je n’en serai jamais une. Mais j’ai une copine qui est en train de m’écrire ça…

Guerre et Paix, de Robert Dornhelm. Diffusion fin 2007 sur France 2. Sans moi, d’Olivier Panchot. En salles le 3 octobre 2007. Les Buttes-Chaumont, d’Ariel Zeitoun. En salles le 31 octobre 2007. La Troisième Partie du monde, d’Éric Forestier. En salles prochainement. In Bruges, de Martin Mc Donagh. En salles prochainement.

François Simon, critique saignant

RdV#9 •• Gastronomie •• Par François Lemarié. Autoportrait François Simon.

Celui qui fait peur aux restaurateurs et délecte les lecteurs en portant les mots droit dans le buffet se met à nu pour Rendez-vous magazine.
La plume aiguisée du Figaro qui débarque incognito dans les restaus, minicaméra incrustée dans les lunettes pour sa chronique filmée sur Paris Première, raconte l’assiette à sa façon, inimitable, gourmande, parfois cinglante. Voix suave et british style, le journaliste se lâche aussi sur les ondes de France Inter dans la très rock’n’roll Bande à Bonnaud, et désormais sur son blog. Né à Saint-Nazaire, le prince des gastronomes aurait voulu être critique de rock, partir à Berlin, mais le destin prend les choses en main, comme toujours : des études de droit à Nantes, puis le journalisme, « le vrai », la nuit à Presse Océan, ensuite sur le terrain aux Sables-d’Olonne. Après, tout s’enchaîne : Le Matin de Paris, les chroniques gastronomiques, le GaultMillau, la revue Cuisine et Vins de France, dont on lui confie la rédaction en chef, et pour finir, Le Figaro. Il s’invente un personnage en parodiant Charles Duchemin, alias Louis de Funès, dans L’Aile ou la cuisse, mais insuffle du professionnalisme dans un monde où il y en a peu, débarquant avec pipettes et sonomètre pour tester l’hygiène et mesurer les décibels dans les restaurants. François Simon se voyait écrivain ; il l’est devenu, à sa manière. Lisez donc Toscane(s), N’est pas gourmand qui veut ou même Comment se faire passer pour un critique gastronomique sans rien y connaître. L’écriture est limpide et lyrique, truculente et sarcastique. Les mots forment une mélodie pop, un peu comme ce groupe suédois qui, sur son blog, s’attaque à « l’art du tempo en cuisine ». Tout cela valait bien un portrait chinois alphabétique.

L’aile ou la cuisse
La cuisse…
Critique
Avant, il y avait ce côté marrant, c’était un peu comme une farce, mais aujourd’hui, c’est devenu un exercice responsable avec des intérêts où le restaurateur peut se plaindre pour préjudice commercial.
Cuisinier
Fulvio Pierangelini à San Vicenzo, près de Livourne, en Toscane. Aucun artifice. Quand la cuisine se débarrasse de tout et s’emplit de sentiment. J’aimerais pouvoir citer une table en France où je vaisrégulièrement, mais je n’en ai plus.
Dessert
Meringue, chantilly, crème glacée vanille.
Ducasse
Le XXe siècle.
Entrée
J’aime bien commencer par des légumes tièdes, la température idéale, ou un bouillon, cela attendrit l’estomac. Pour moi, le goût et le corps marchent de pair, je n’ai pas envie d’abîmer mon corps qui vieillit. La gastronomie s’accorde avec la diététique, la philosophie, la sensualité… On est vraiment ce qu’on ingère et ce qu’on pense.
Épice
Poivre.
Fantasme
Une grande croisière réunissant les plus grands chefs avec toute une cour de critiques, et le bateau coulerait…
Fooding
C’est sympathique, et même s’il y a des sponsors, au moins c’est clair. Il y a de la bonne humeur, de l’anarchie, de l’air frais.
Gagnaire
La schizophrénie de l’assiette, une sorte de fuite passionnante, mais qui ne s’arrête jamais.
Génération C.
(Collectif de nouvelle cuisine fondé par Gilles Choukroun et David Zuddas)
Les jeunes ressemblent parfois à leurs aînés, ils reproduisent les mêmes schémas de rangement, d’opportunisme… Mais la nouvelle génération a le sens de l’éthique.
Herbe
Coriandre.
Idéal
Le restaurant idéal est en péréquation avec la personne, la faim, la tempé-rature, le lieu, le vêtement, tout est en harmonie. Je n’aime pas cette effraction abusive de l’intimité, quand on vous force à prendre des amuse-bouches. Par exemple, une gelée de foie gras au porto en pleine chaleur… quoique, pourquoi pas. Le client est roi, il est là pour se faire plaisir.
Japon
C’est ma vie depuis quinze ans, depuis toujours. C’est un pays formidable, avec de la curiosité, du respect, une vraie sincérité et de la profondeur. Bientôt, ce sera le pays le plus gourmand et le plus connaisseur.
Michelin
Cette volonté de ranger est devenue utopique. La France gourmande est insaisissable, en plein paradoxe.
Paris
Ce devrait être la ville la plus gourmande, alors qu’elle est la plus superficielle. Ici, tout est volage, gracile, éphémère, on est constamment insatisfait, mais c’est aussi un ravissement. À Paris, tout est posé, maniéré, sophistiqué, alors qu’à Osaka par exemple, il y a un vrai rentre-dedans, de la profondeur.
Perruque
Avant, il m’arrivait d’en porter, mais j’avais l’air d’un vieil homo anglais.
Plat
Le poulet rôti, avec ce que vous voulez.
Poudré
Pourquoi pas ?
Restaurant
On devrait se restaurer en retrouvant la notion pharmaceutique. Quand on arrive fatigué et un peu triste, on doit ressortir heureux et bien mieux, alors que souvent, on est cassé, alourdi, surtout dans les grands restaurants.
Rock
Fuck !
Saint-Nazaire
Une ville rebelle, une ville d’ouvriers avec sa petite bourgeoisie, les ingrédients parfaits pour chercher la rupture. De l’iode, du sel, une cité portuaire que j’ai longtemps considérée comme une ville de ploucs. Une ville repoussoir mais qui attache énormément, avec une culture américaine très forte, attractive, et des filles vénéneuses, comme dirait Depardieu de celles de Châteauroux.
Style
Aucun. J’apprécie une dizaine de styles de nourriture, du sandwich même dégueulasse au soufflé d’oursins. Je pourrais vous dire que je suis un esthète et que je vais manger mon sandwich au Petit Vendôme, rue des Capucines. Mais ce n’est pas vrai, quand j’ai faim, je suis capable de manger n’importe quoi. Et je trouve ça bien, cela permet d’apprécier encore mieux les bonnes choses.
Système
Il faut en sortir. Je n’aime pas les systèmes d’obéissance, « mettez-vous là », « menu fixe », « il y a vingt minutes d’attente »…
Texture
Suave.
Vin
J’aime les vins d’Italie, ils ont un côté spontané, plein de soleil et « beachy ». Le Terre Brune de Santadi, en Sardaigne, révèle un côté iodé. On est au bord du littoral, il y a du sable sur la terre…
50
Comme les cinquante meilleures tables du monde, mais je n’y crois
pas trop. Le Japon n’y apparaît même pas, et je suis sûr qu’il y a des choses formidables à Istanbul, Beyrouth et Lima.

Check : Blog de François Simon

À la fraîche part.2

Photo Yamandu Roos. Réalisation Kanako B. Koga

Annette Messager, pantins et merveilles

RdV#9 •• Art •• Par Emmanuelle Lequeux. Photo Xavier Cariou.

Elle fume nerveusement de ces fines cigarettes qui, entre ses doigts, semblent baguette magique. Ou bâton de sorcière. Car Annette Messager est tout cela : ensorceleuse, conteuse, truqueuse, charmeuse. Sous ses doigts, un nounours devient un héros malmené, Pinocchio le symbole de notre triste destinée. Depuis le début des années 70, elle torture et triture, elle découd et recoud ainsi nos mémoires, nos mots, notre anodin pour en faire un long poème. Rencontre avec une grande dame de l’art contemporain, honorée en cet été d’une vaste exposition au Centre Pompidou.

Emmanuelle Lequeux : Vous avez souvent été invitée à investir des lieux forts, chargés d’histoire, comme le couvent des Cordeliers à Paris ou l’Hospice Comtesse à Lille. Comment avez-vous réagi face au Centre Pompidou en tant que bâtiment ?
Annette Messager : Ici, il s’agit plutôt d’oublier Beaubourg. J’interviens notamment avec une nouvelle installation dans le forum, mais c’est un endroit très casse-gueule, très parasité, tous les artistes s’y sont plantés. Mais bon, il faut jouer dans la vie. Tous ces tuyaux et rouages dressent une mise en scène qui m’intéresse. Dans le mot « Pompidou », il y a « pompe » : ça signifie que ce lieu devrait être comme un cœur qui fait affluer l’énergie ; mais les artères sont un peu bouchées. Et il faut une énergie considérable pour les déboucher. Mais je suis encore dans l’optimisme, par rapport à moi-même et par rapport à Beaubourg. Tant qu’on est en vie, on peut essayer de faire quelque chose. Ce lieu m’intéresse car il a une belle histoire, mais il faut savoir oublier le passage des autres artistes, notamment celui de Godard qui m’a beaucoup marquée : c’est vraiment un individu qui s’est mis en scène, dans toute son impuissance.

Emmanuelle : Cette exposition n’a rien d’une rétrospective, elle mêle pièces anciennes et nouvelles sans aucun respect de la chronologie. Comme si vous vouliez constamment rejouer vos œuvres, ne jamais les laisser se figer.
Annette : Oui, c’est un peu le bordel au niveau chronologie. Pour moi, cette exposition est comme un corps, un tout organique. En son cœur, il y a cette voile de soie que j’avais montrée à Venise en 2005 : elle est comme un flot de sang rouge, un accouchement. C’est une reprise du Pinocchio de Venise ; pour moi, il est comme une mécanique immortelle. Nous sommes comme lui, des petits personnages un peu désarticulés, un peu pathétiques ; on se croit immortel et finalement, nous ne sommes que des pauvres choses dans un trou. Je n’aime pas les rétrospectives ; la première fois qu’on m’en a proposé une, à Grenoble, ça m’a rendue complètement malade. Depuis, j’ai pris l’habitude. Mais alors, tout remontait. Je trouvais mon travail d’une logique effrayante, une pièce en amenant une autre inéluctablement. Ce qui est difficile quand on est artiste, c’est qu’on nous parle toujours de choses passées, alors qu’on aimerait être toujours dans le présent, dans la production. Je ne suis pas du tout dans la nostalgie ni la mélancolie. Plutôt dans la détresse, dans la noirceur. Plus on est dans la détresse, plus on peut jouer, se foutre de tout. À mon âge, les modes, je m’en fous encore plus qu’avant, j’ai vu tellement de choses passer. Le côté positif dans le fait de vieillir, c’est qu’on devient plus libre. De toutes façons, j’ai toujours eu l’esprit de contradiction ; j’ai commencé en pleine période du minimal et du conceptuel, et je ne voulais surtout pas faire ça. J’étais déjà dans la résistance en tant qu’artiste, en tant que femme et en tant qu’individu. Mais pour revenir à cette première rétrospective, finalement, elle m’a beaucoup apporté. C’est grâce à elle que j’ai recommencé à travailler avec des animaux empaillés.

Emmanuelle : Depuis quelques années, vous vous êtes lancée dans des pièces très sophistiquées d’un point de vue mécanique, elles sont comme des décors de théâtre en mouvement perpétuel. Comment expliquez-vous ce virage dans votre œuvre ?
Annette : C’est vrai que je m’investis dans des pièces assez lourdes, mais elles me donnent encore plus envie, une fois rentrée chez moi, d’en faire d’autres légères, faciles à produire. Quand je travaille, je suis comme deux personnes : je conçois une chose toute seule, puis vient le travail en équipe où je deviens comme un petit chef d’entreprise. Une exposition, c’est toujours un voyage : à chaque fois, c’est différent, et l’on ne sait pas où l’aventure va nous mener.

Emmanuelle : Comme un premier signe de l’exposition, vous avez réalisé pour le Centre le graphisme du laissez-passer, que vous avez transformé en« laissez-pisser » ! Avez-vous l’impression que vous pouvez faire aujourd’hui des gestes que vous ne pouviez pas faire à vos débuts, dans les années 70 ?
Annette : Franchement, j’ai toujours fait ce que je voulais. Mais quant au « laissez-pisser », je ne pensais pas que cela passerait. Les choses ne sont pas devenues plus faciles, et je n’aimerais pas être une jeune artiste aujourd’hui. Je fréquente beaucoup les jeunes, en tant que professeur aux Beaux-Arts. Et je remarque qu’on ne leur parle que d’argent. Dans les années 70, personne ne vendait. Le monde de l’art était très réduit. C’est peut-être bien, toute cette mondialisation, mais les jeunes gens ne sont préoccupés que par ça. C’est difficile pour eux de s’en libérer. Moi, j’ai toujours su ce qu’il fallait faire pour vendre. Mais ce n’est pas pour cela que je l’ai fait. Faire comme Opalka, qui répète le même geste toute sa vie, à écrire des chiffres sur une toile, c’est absolument impensable pour moi ! Quand j’ai exposé chez Gagosian à New York (une des plus grosses galeries au monde, ndlr), il m’a dit : « Tu vas voir, on va mettre ta série des Vœux et on vendra tout. » Je lui ai répondu : « D’abord, on n’en mettra aucun, et peut-être bien qu’on ne vendra rien. » Si l’artiste se laisse entraîner par ses marchands, il n’est plus responsable.

Emmanuelle : À chaque fois qu’un critique d’art tente de vous définir, il se sert d’un « à la fois » : comme si tout chez vous se jouait sur les contrastes, les paradoxes. Vous sentez-vous comme un être « à la fois » ?
Annette : Je n’en sais rien, je ne m’occupe pas de moi, je m’occupe de mes choses et c’est bien assez pour résoudre mes problèmes psychologiques. L’art me permet de jouer un personnage. Je pense souvent à cette phrase de Kubrick : « J’aime beaucoup les artistes et les assassins car ils n’acceptent pas le monde tel qu’il est. »

Les Messagers, par Annette Messager, Centre Pompidou, galerie sud, 75004 Paris, 01 44 78 12 33. Jusqu’au 17 septembre. www.centrepompidou.fr

7.7.07

À la fraîche

Photo Yamandu Roos. Réalisation Kanako B. Koga

Cet été, j’aimerais bien qu’on arrête les déguisements, un rêve de trêve estivale. Alors on a casté les cousins, les voisines, les petites sœurs… On a pris la voiture pour Amsterdam, du reggae dans les enceintes, de l’air frais plein le cœur, et le coffre rempli de tout ce qu’on a envie de porter, pour de vrai.