9.7.07

Les figures de style de Clémence Poésy

RdV#9 •• Cinéma •• Par Katia Pecnik. Photos Pierre Even. Réalisation Kanako B. Koga.

Un tel patronyme donne les coudées franches, comme le présage d’un destin extraordinaire. Après le coup de baguette magique avec son rôle dans Harry Potter, l’actrice diaphane croise avec aisance productions colossales et films d’auteur à petit budget. Ici et ailleurs. La classe internationale.
Elle plisse ses yeux pervenche. Sa carnation transparente est celle des ladies à l’heure du five o’clock tea. Le temps d’une séance photo où la température est pour le moins réfrigérante, ses lèvres ont bleui – une particularité bien à elle, précise-t-elle. On la sent physiquement délicate, attaches fines et silhouette frêle des brindilles bon teint. Mais la nymphe de vingt-cinq ans est armée de raison, d’un caractère méthodique, d’une intelligence vive et d’un calme qui lui fait sans ciller relever le gant de défis cinématographiques en série. Des débuts précoces à seize ans dans des téléfilms, un bilinguisme et un réel talent lui ont fait rapidement gagner un statut à part dans le cinéma français – la place de celle qui peut toujours filer à l’anglaise. Son rôle de Fleur Delacour dans Harry Potter et la coupe de feu lui a assuré une célébrité subite et l’a catapultée parmi les jeunes talents qui comptent à l’échelle internationale. Mais, pour qui ne suit pas avec attention les aventures du petit sorcier, Clémence reste difficile à cerner, ou alors seulement sous les traits d’une héroïne de téléfilms historiques à panache. Son image, pourtant, n’est ni bradée par l’exposition au plus grand nombre, ni assombrie par les chiffres de l’audimat. Et la justesse dans ses choix de films d’auteur, ici ou à l’étranger, l’auréole du respect des cinéphiles. Un jour en costume d’époque, un autre en apprentie sorcière, encore un en donnant la réplique à Colin Farrell ou Gaspard Ulliel : la mixité de ces postures apparemment contradictoires n’en fait pas pour autant un personnage paradoxal. Issue d’une famille mi-prof mi-artiste, Clémence contrôle minutieusement sa trajectoire avec, comme seul fil conducteur, son enthousiasme pour des projets intellectuellement stimulants. Une qualité qui, pour elle, peut se retrouver aussi bien dans une fresque historique du service public que dans un film d’auteur. Elle glisse aisément d’un rôle à l’autre sans être marquée au fer rouge. Le secret de Clémence Poésy (le nom de jeune fille de sa mère) réside certainement dans sa personnalité, aussi discrète et plastique qu’insaisissable et magnétique. Itinéraire d’une jeune fille bien élevée au talent poli et qui sonne juste comme une rime.

Éclectique, c’est chic

Katia Pecnik : De Harry Potter au téléfilm Les Amants du Flore, votre parcours est d’une incroyable diversité. Vous revendiquez l’éclectisme avant tout ?
Clémence Poésy : Oui, totalement. Actuellement, je suis en tournage avec Gaspard Ulliel et Éric Ruf pour La Troisième Partie du monde, le premier long métrage d’Éric Forestier. C’est un film d’auteur, un ovni racontant des histoires de disparitions amoureuses. Et je joue aussi dans deux films qui sortiront en octobre, Sans moi, d’Olivier Panchot, d’après le livre de Marie Desplechin, et Le Gang des postiches, d’Ariel Zeitoun, dont le titre est encore provisoire (ce devrait être Les Buttes-Chaumont, ndlr). Parallèlement à ça, on pourra me voir aussi dans une adaptation pour la télévision de Guerre et Paix.

Katia : Des choix délibérés…
Clémence : J’ai l’impression de faire un métier dont l’essence même est l’adaptabilité. Vous savez, passer d’un film d’auteur à un autre implique de toutes façons d’apprendre à fonctionner avec des metteurs en scène et des équipes différentes. J’ai trouvé magique d’avoir pu alterner des films français et étrangers dans des productions plus ou moins grosses. Par exemple, j’ai joué dans In Bruges, de Martin McDonagh, un film anglais avec une toute petite production, même s’il y a des grosses stars comme Colin Farrell. Ensuite, je me retrouve dans Guerre et Paix, une énorme machine internationale avec des Allemands, des Russes et des Polonais. Passer d’un film en France produit par Europa à un petit film comme l’adaptation de Sans moi, c’est le plaisir d’alterner d’un monde à un autre. C’est exactement cela qui me plaît : changer d’univers. Quand j’ai fait le grand écart entre Harry Potter et Les Amants du Flore, c’était rigolo de prendre le bus Porte de Pantin après huit mois de limousine !

Katia : Depuis le début de votre carrière, vous avez joué dans de nombreux téléfilms. Qu’ils soient considérés comme un genre moins noble que le cinéma ne vous gêne pas ? Clémence : J’ai grandi sans télévision et je n’en ai toujours pas. Mais je pense que ça peut être un média génial quand il s’agit de mettre en images Guerre et Paix. Cette épopée sera vue par le plus grand nombre parce qu’elle est diffusée sur plusieurs soirs. J’essaie toujours de considérer la valeur du projet sans a priori. Et je n’aurais jamais eu l’occasion d’interpréter Natacha de Guerre et Paix au cinéma, car ils ne l’adapteront jamais.

Katia : Abordez-vous vos rôles pour la télévision avec le même état d’esprit qu’au cinéma ?
Clémence : Oui, bien sûr. Et d’ailleurs, la première fois que j’ai eu l’impression de faire mon métier, d’avoir un rôle sur les épaules et de me sentir comédienne, c’était dans un téléfilm pour la BBC où j’incarnais Marie Stuart. C’est l’une des choses que j’ai faites dont je suis la plus fière, et je suis heureuse qu’une aussi large audience ait pu en profiter.

Katia : Encore un film historique…
Clémence : Oui, on va croire que je suis abonnée aux héroïnes romantiques !

Katia : Qu’est-ce qui vous motive dans de tels projets ?
Clémence : On choisit d’abord parmi ce qu’on nous propose. Je commence tout juste à pouvoir dire non, et j’ai beaucoup de mal à le faire. Au début, on travaille plutôt en fonction de ce qu’on réussit à passer comme casting… J’ai beaucoup d’indulgence pour les acteurs, car on fait aussi sa carrière avec ce qui arrive. Même si j’ai des exigences, évidemment. Je peux tenir à certaines choses, dire oui à un court métrage parce qu’il me paraît important. Et alors, c’est au détriment d’une proposition de film.

Katia : Et si vous aviez une liberté absolue de choix ?
Clémence : Le luxe, c’est d’aller au plus près du cinéma qu’on aime. En l’occurrence, j’ai l’impression d’être assez ouverte et éclectique dans ce que je vais voir en salles, ça va de Hou Hsiao-hsien à La Fille sur le pont, de Tavernier à Assayas… Et de temps à autre, ça ne fait pas de mal de voir certains gros films américains. Je ne dédaigne pas une belle comédie anglaise romantique comme Love Actually. J’accepte mes envies de légèreté. Et ça se traduit dans le choix de mes films.

Katia : Qu’est-ce qui compte le plus pour vous ?
Clémence : Continuer à travailler en plusieurs langues. Je garde le rêve des années 60-70 où le cinéma n’était pas aussi cloisonné qu’aujourd’hui. C’est riche de pouvoir bénéficier d’autres cultures. On ne travaille pas de la même manière d’un pays à l’autre. Et à chaque fois, cela m’oblige à chercher une nouvelle façon d’être pertinente. Et puis, je souhaite continuer à voyager. Alors qu’à la base, j’étais assez casanière. J’y ai pris goût. Et justement, c’est un défi qui me motive. J’ai l’impression de faire un métier dont l’essence même est l’adaptabilité. Vous savez, passer d’un film d’auteur à un autre implique de toutes façons d’apprendre à fonctionner avec des metteurs en scène et des équipes différentes. J’ai trouvé magique d’avoir pu alterner des films français et étrangers dans des productions plus ou moins grosses. Par exemple, j’ai joué dans In Bruges, de Martin McDonagh, un film anglais avec une toute petite production, même s’il y a des grosses stars comme Colin Farrell. Ensuite, je me retrouve dans Guerre et Paix, une énorme machine internationale avec des Allemands, des Russes et des Polonais. Passer d’un film en France produit par Europa à un petit film comme l’adaptation de Sans moi, c’est le plaisir d’alterner d’un monde à un autre. C’est exactement cela qui me plaît : changer d’univers. Quand j’ai fait le grand écart entre Harry Potter et Les Amants du Flore, c’était rigolo de prendre le bus Porte de Pantin après huit mois de limousine !

Bonne éducation
Katia : Vous avez pris très jeune la décision de devenir comédienne… Clémence : J’ai envoyé une lettre à un agent et ça a marché. Je ne sais même pas si j’en avais parlé à ma mère, qui est prof, et à mon père, qui était directeur d’une compagnie de théâtre…

Katia : Mais, vu le métier de votre père, ce ne fut pas une surprise…
Clémence : Si, vraiment, car je voulais faire du dessin. Je n’avais jamais exprimé le désir d’être comédienne. C’est une décision que j’ai prise toute seule, et je ne leur ai pas demandé leur avis là-dessus. Je ne leur ai jamais fait lire un scénario. Avec ma sœur, on avait insisté lorsque nous étions enfants pour faire partie des spectacles de mon père. Mais c’était pour être dans son monde, et il ne nous avait accordé que trois répliques. Moi, j’étais dans mon truc de dessin, et à un moment donné, j’ai eu envie d’essayer de jouer. Finalement, je me suis lancée dans ce que j’avais fait depuis des années dans ma chambre avec ma sœur…

Katia : Comment ont réagi vos parents ?
Clémence : Bien, car de toutes façons, ça ne remettait rien en cause au niveau de ma scolarité ; ils m’ont fait confiance. Et mon père n’avait rien à dire… étant donné ses activités au théâtre ! C’est un métier qui faisait très peur à ma mère parce que c’est compliqué, c’est une voie moyennement sûre. Mais quelle carrière l’est aujourd’hui ?

Katia : L’activité de votre père vous a-t-elle influencée ?
Clémence : Son travail a toujours fait partie de ma vie. Quand il jouait, on allait le voir. J’ai des photos de ma sœur et moi aux répétitions. Mais j’ai une mère prof qui insistait beaucoup pour que la vie s’organise selon des horaires réguliers. Donc, je n’ai pas non plus passé ma vie en tournée avec mon père. Avec l’âge, je m’aperçois que c’est une vraie chance d’avoir pu partager avec eux nos doutes et nos réflexions sur ce métier. Ma sœur est aussi comédienne. On est toujours très honnêtes les uns avec les autres par rapport au travail. On partage tellement de choses !

Katia : Comme ?
Clémence : L’amour des livres, celui des mots, des spectacles et de la musique. On va régulièrement au théâtre tous ensemble. Ma sœur, qui a deux ans de moins que moi, fait aussi du cinéma, mais elle est plus branchée danse et spectacle vivant. On a eu un peu la même trajectoire et on a grandi avec les mêmes envies. J’espère lui apporter autant qu’elle m’apporte. Ma mère nous a lu des histoires très tard, juste pour le plaisir de partager un récit. Certains livres pour enfants sont d’une telle beauté… Mes parents ont tout fait pour nous faire participer à leur vie culturelle, et ils nous ont donné une éducation d’un genre bien spécifique.

Katia : Vous parlez de l’école ?
Clémence : Oui. Sur un choix de mes parents, j’ai effectué ma scolarité dans plusieurs écoles un peu spéciales, des institutions nouvelles. J’ai notamment été scolarisée à La Source, un établissement européen où l’on apprend très tôt l’anglais, d’où le fait que je sois bilingue. Et j’ai passé un an à l’École alsacienne qui, tout en étant plus classique, a tout de même une philosophie de l’éducation construite et pensée autrement. C’est un établissement dont l’histoire et l’identité sont très fortes, comme certaines écoles anglo-saxonnes.

Katia : En quoi cela a-t-il eu un impact sur votre vie d’adulte ?
Clémence : Ca a forcément influencé mes choix ultérieurs. Ce sont des écoles où l’on apprend à être autonome et où l’on a un grand respect dans le rapport à l’enfant. J’ai toujours vécu en considérant le monde adulte comme faisant partie du mien. Les différences entre les générations ne sont pas accentuées par des rapports hiérarchiques trop forts. Ce sont simplement des relations entre personnes.

Katia : Selon vous, quelles qualités cela vous a-t-il apportées ?
Clémence : J’ai gagné en autonomie et en confiance par rapport aux adultes, c’est aussi de cette manière que mes parents m’ont élevée. Ils ont un grand respect de l’enfant et de sa personne dans ce qu’il a de précieux. Beaucoup de proches de mes parents avaient la même démarche. C’est pourquoi je considère certains de leurs copains comme les miens. J’ai des amis intimes de tous les âges.

Katia : Sérénité, autonomie, vie professionnelle précoce… et la fameuse crise de l’adolescence dans tout ça ?
Clémence : J’ai eu une période très grunge, mais ce n’est pas allé beaucoup plus loin que faire des trous dans mes vêtements… C’était une période très riche, artistiquement parlant. Avec des copains, on voulait inventer de nouveaux mouvements créatifs. Et puis, je n’ai pas travaillé intensément tout de suite. J’ai eu plein de moments d’ado, je ne travaillais que pendant les vacances. On m’a fait confiance. Donc, j’avais envie de conserver cette part d’autonomie, je n’ai jamais ressenti le besoin de faire n’importe quoi…

Katia : Vous avez poursuivi vos études ?
Clémence : Après le bac, j’ai été à la fac de Nanterre. J’adorais ça. J’ai même été un peu triste à un moment parce que j’avais commencé à travailler assez tôt, et c’est devenu incompatible avec le fait de suivre des études plus poussées. Si ça n’avait tenu qu’à moi, je les aurais poursuivies. Mais il se trouve que ça a marché. J’avais l’impression de faire des progrès, de découvrir un autre monde. Tout s’est fait progressivement et ça reste aujourd’hui encore un jeu. C’est ça qui est très joli.

Katia : Vous avez eu envie d’étudier le cinéma, le théâtre ?
Clémence : Je venais d’être admise au Conservatoire… On m’a proposé Harry Potter au même moment. Il y avait huit mois de travail sur le film et ce n’était pas possible de tout faire. Mais j’aurais adoré, car c’est un luxe incroyable et c’est la possibilité de continuer à apprendre, à chercher, à se perfectionner. Je pense qu’au théâtre, tu apprends d’autres choses. Selon moi, le cinéma est un métier empirique qui peut s’apprendre en le faisant. Alors que le théâtre nécessite une technique, un savoir-faire. J’ai très envie de faire du théâtre.

Comme il lui plaira

Katia : Quel théâtre aimez-vous ?
Clémence : J’ai grandi en allant à l’Odéon, en voyant les mises en scène de Patrice Chéreau, celles d’Ariane Mnouchkine à la Cartoucherie, à travers des spectacles de clowns, de masques, de nouveau cirque et de danse. C’est ce que j’ai adoré dans ma préparation au Conservatoire : le fait de m’attaquer à des textes, la beauté des classiques, de Shakespeare à Tchekhov, ou l’écriture de Marius von Mayenburg pour les contemporains. J’ai aussi envie de dire ces mots-là. Et j’aimerais bien jouer Juliette, mais alors, il faudrait que je me dépêche ! Aujourd’hui, j’aime découvrir des choses comme le dernier spectacle de James Thiérée, ou ceux d’un chorégraphe belge que ma sœur m’a fait découvrir, Sidi Larbi Cherkaoui ; il a écrit un très beau texte sur la création. J’adore aussi la compagnie de François Cervantès avec l’actrice Catherine Germain ; c’est du clown et du masque et c’est d’une grande beauté.

Katia : On vous découvre assez classique, mais on vous sait liée aux créateurs de Kitsuné.
Clémence : Ah oui ! Je connais Masaya de Kitsuné par l’intermédiaire d’un copain. Un jour, ils cherchaient une fille pour les photos de leur campagne de pub, et comme on était amis, c’est moi qui l’ai fait. Je suis assez branchée mode, ça me met des étoiles dans les yeux. C’est léger mais très riche. Avoir rencontré Nicolas Ghesquière et entretenir des relations privilégiées avec certaines maisons font partie des luxes de ce métier.

Katia : En dehors du jeu d’actrice, vous sentez-vous une âme d’artiste ?
Clémence : Je fais de tout petits dessins et ce sont des bouts de texte… avec des bouts de dessin ! Je suis en train d’essayer de faire un petit livre. Je suis très fan de certains livres pour enfants ; lorsqu’ils sont bien faits, on peut les assimiler à des œuvres d’art. J’ai toujours plus ou moins écrit. Et ça me plairait de réaliser des documentaires

Katia : Quels sont vos rêves pour la suite ?
Clémence : J’aimerais travailler avec Woody Allen, Olivier Assayas, Tim Burton ou Bertrand Tavernier… J’aimerais beaucoup tourner avec Jean Rochefort aussi, et avec Jeanne Moreau. J’aimerais jouer une rock star, car je sais que je n’en serai jamais une. Mais j’ai une copine qui est en train de m’écrire ça…

Guerre et Paix, de Robert Dornhelm. Diffusion fin 2007 sur France 2. Sans moi, d’Olivier Panchot. En salles le 3 octobre 2007. Les Buttes-Chaumont, d’Ariel Zeitoun. En salles le 31 octobre 2007. La Troisième Partie du monde, d’Éric Forestier. En salles prochainement. In Bruges, de Martin Mc Donagh. En salles prochainement.

Aucun commentaire: